En réponse à une demande de l’Assemblée générale de l’ONU sur le Mur israélien dans les territoires palestiniens occupés, la Cour internationale de justice a rendu, le 9 juillet dernier, un avis qui a fait grand bruit. Cette courte réflexion voudrait ouvrir une série d’articles où seront étudiées les ressources du droit et de l’action politique afin que cet avis considérable ne reste pas lettre morte.
A la suite immédiate de cet avis, l’Assemblée générale a adopté le 20 juillet une résolution demandant à l’Etat d’Israël pour sa part et aux Etats membres pour ce qui les concerne de le mettre en œuvre ; les pays non-alignés ont décidé qu’à défaut d’un changement de politique d’Israël, ils prendraient des sanctions économiques et politiques à son encontre. Côté Union européenne, les Etats « de droit » qui la composent, à part quelques déclarations, n’ont rien proposé ou fait.
Certes nous commençons à avoir l’habitude que les résolutions de l’ONU ne soient pas appliquées par Israël, que les conventions internationales qu’il signe soient violées sans que cela conduise les Etats « champions » des droits de l’homme et de la légalité internationale à s’émouvoir suffisamment pour en tirer les conséquences. Certes ces mêmes Etats avaient été réticents à ce que l’Assemblée générale saisisse la CIJ, et au cours de la procédure, ils ont tenté de la convaincre de ne pas se prononcer ; ils savaient que son avis ne pourrait que conclure à l’illégalité et qu’ils seraient dès lors mis devant leurs responsabilités. Mais pourront-ils sans risque pour l’avenir continuer à mettre à mal l’ordre juridique international qui a pour objectif essentiel la paix mondiale ?
Y a-t-il un obstacle juridique à traiter de la question ?
Etant donné la paralysie du Conseil de sécurité au moment de préconiser des mesures concrètes en faveur d’une solution au Proche-Orient en raison du veto américain, que peut faire l’Assemblée générale ?
Revenons donc sur l’avis du 9 juillet. Il se réfère à la résolution 377 de l’Assemblée générale du 3 novembre 1950,
« L’union pour le maintien de la paix », adoptée à la demande des Etats-Unis sur l’affaire de Corée. Cette résolution (voir encadré ci-contre), qui a été confirmée à plusieurs reprises depuis lors, bat en brèche l’idée selon laquelle l’ONU ne peut rien faire sans l’accord de tous les membres permanents du Conseil de sécurité. Lorsque le veto bloque cet organe, l’Assemblée générale peut se saisir. C’est ainsi qu’elle a ouvert depuis avril 1997 sa dixième session extraordinaire d’urgence pour traiter des « mesures illégales prises par les autorités israéliennes à Jérusalem-Est occupée ainsi que dans le reste du Territoire palestinien occupé ». Et c’est dans le cadre de cette session, au cours de sa 27 e séance, qu’elle a adopté sa résolution du 20 juillet 2004.
Certes, à l’époque où la résolution 377 a été adoptée, c’était l’URSS qui usait du droit de veto et les pays européens étaient adversaires de cet Etat. Aujourd’hui ce sont les Etats-Unis qui usent du veto et les Etats européens lui sont alliés. La situation politique est donc inversée. Et en politique intervient le rapport des forces. Mais quand une résolution de l’Assemblée générale est adoptée par tous les pays Membres de l’ONU à l’exception des Etats-Unis et d’Israël suivis par deux ou trois autres Membres, le rapport des forces ainsi exprimé (marquant une divergence entre les Etats-Unis et l’Europe) devrait permettre la mise en œuvre de la résolution, sauf à décider que le gouvernement mondial se trouve pour toujours à Washington. Auquel cas, c’est bien tout le projet de l’organisation mondiale dans sa mission de prévention des menaces pour la paix qui serait en péril. Il nous faut donc partir du principe qu’il est possible d’agir.
Les principes et les textes fondamentaux invoqués
par la CIJ
Il ressort en premier lieu de l’analyse de l’avis du 9 juillet [1]. que le droit à l’autodétermination du peuple palestinien y est rappelé de façon particulièrement ferme à plusieurs reprises, et notamment dans ses paragraphes 88 et 115 à 122. Ensuite, l’applicabilité des Conventions de Genève de 1949, en particulier la IV e Convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et des conventions relatives aux droits de l’Homme est affirmée. Et surtout la CIJ constate la violation de ces textes par Israël et rappelle l’obligation pour les Etats signataires desdites conventions de les faire respecter.
Mais l’énoncé du droit n’a de valeur qu’à raison des conséquences concrètes qui en sont tirées.
Le droit à l’autodétermination des Palestiniens
Non seulement la Cour rappelle fermement, de façon juridiquement argumentée, le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, mais elle traite la Palestine comme un Etat :
– elle désigne les territoires occupés par Israël depuis 1967 sous le nom de « la Palestine » ;
– elle avait reçu le rapport de la Palestine et entendu la délégation palestinienne dans ses audiences comme pour un Etat (selon l’article 34.1 de son statut, « Seuls les Etats ont qualité pour se présenter devant la Cour » ;
– elle reconnaît même sans ambiguïté les frontières de cet Etat en précisant l’illégalité du Mur construit par Israël
« agissant dans l’exercice de sa compétence en dehors de son propre territoire », signifiant ainsi les frontières du territoire d’Israël et, par voie de conséquence celles de l’Etat de Palestine, la frontière entre les deux étant la ligne d’armistice de 1949.
Ces signes de reconnaissance de l’Etat palestinien ne sont pas les premiers. On peut les situer dès 1974, et surtout 1977. Pour mémoire, il faut rappeler notamment qu’en 1977, l’OLP obtenait un siège officiel à Genève, un Bureau d’observateur permanent auprès de l’ONU impliquant l’octroi à ses représentants de privilèges quasi diplomatiques. Et quand, en décembre 1988, les Etats-Unis ont refusé son visa à Yasser Arafat pour venir parler à l’Assemblée générale, celle-ci a décidé de se transporter à Genève spécialement pour pouvoir l’écouter. Mais surtout, lors de sa dix-neuvième session tenue à Alger, le Conseil national palestinien a déclaré l’indépendance de l’Etat de Palestine le 15 novembre 1998. Et ce seront plus de cent pays qui reconnaîtront ensuite cet Etat. Pour une série de raisons, les Palestiniens n’ont pas tiré les conséquences de cette déclaration et de cette reconnaissance.
Donc aujourd’hui, après l’avis de la CIJ et la résolution de l’ONU, le prochain gouvernement palestinien pourrait, pour mettre à profit cette victoire, donner une application à la déclaration d’indépendance en faisant des gestes significatifs tels que par exemple la signature d’instruments internationaux auxquels déjà les autorités palestiniennes se réfèrent depuis longtemps et qu’elles entendent respecter. Ce serait un pas de plus dans la marche vers sa capacité internationale et l’acquisition de nouveaux moyens d’action au niveau de l’ONU.
Cessation des violations, réparations, sanctions
L’analyse de l’avis a montré que le droit international humanitaire et les droits humains sont violés par Israël, notamment par la construction du Mur. Ces violations doivent cesser et leurs effets être réparés. Les plus graves violations sont des crimes de guerre (article 8 du Statut de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998) et leurs auteurs doivent être poursuivis et sanctionnés.
L’arrêt des violations et la réparation de leurs effets incombent à l’Etat d’Israël. La Cour internationale de justice l’a préconisé dans son avis. L’Assemblée générale de l’ONU l’a exigé. Dans la mesure où Israël refuse de se conformer à ces sollicitations, il se met au ban de la société internationale qui finira par prendre des sanctions dont l’échelle et la progression dépendent de la volonté politique des Etats. En Europe, les voix des citoyens et des élus se font de plus en plus nombreuses et pressantes pour demander que, tout d’abord, les accords économiques préférentiels avec Israël soient suspendus jusqu’à ce que cet Etat revienne sur sa politique de colonisation, d’étouffement et d’annexion du territoire et des ressources à l’encontre des Palestiniens.
Quant aux violations les plus graves qui constituent des crimes de guerre, les quatre conventions de Genève (respectivement dans les articles 49, 50, 129 et 146) et le Protocole n°1 du 8 juin 1977 (article 85) prévoient des dispositions expresses relatives à la compétence des juridictions nationales pour engager des poursuites et juger de telles infractions. Mais les différents pays mettent en œuvre cette obligation de compétence universelle dans une mesure et sous des formes différentes. La France, à l’exception des violations graves commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et au Rwanda, n’a pas mis en œuvre le principe de compétence universelle imposé par les Conventions de Genève et le Protocole I additionnel. La Belgique, courageusement, a voulu appliquer ce principe de compétence universelle mais elle était isolée ; harcelée par des pressions politiques et saisie de multiples demandes de toutes parts, elle a fini par changer sa législation. Si quelques Etats européens au moins s’acquittaient de leurs obligations en la matière, le poids serait beaucoup moins lourd pour chacun et la résistance aux pressions plus aisée. Enfin, concernant la France, comme le remarque la FIDH en conclusion d’une étude réalisée en collaboration avec le Centre de recherche de la Fondation Médecins sans frontières, intitulée Les crimes de guerre : un tabou français (décembre 2002) [2]
: « Il ne serait pas admissible que la France, qui a refusé de reconnaître la compétence de la Cour pénale internationale pour les crimes de guerre pendant sept ans, en mettant en œuvre la possibilité ouverte par l’article 124 du Statut, ne dispose pas pendant cette période d’un arsenal juridique irréprochable pour juger au niveau national de tels crimes. »
Obtenir l’exercice du droit à l’autodétermination des Palestiniens, obliger à une effectivité du droit international par des mesures concrètes de sanctions et des poursuites efficaces contre les auteurs des violations de ce droit, même si c’est encore long et difficile, il y va de notre sécurité à tous. Malgré la difficulté de la tâche, malgré les revers et les échecs, il faut voir les avancées et ne pas les minimiser. La voie du droit est la seule capable de contrer celle de la force brutale. C’est la voie que les opinions publiques européennes doivent exiger de leurs Etats.
Sylviane de Wangen